THE MIMIC SCANNING (F) / Denis Pernet - 2016
Text published in Jeune Art Suisse 2016, éd. Verlag für modern Kunst, 2016
The Mimic Scanning
Une caméra balaie un auditoire universitaire vide. Une voix off déclame un texte en anglais. Il est question de pieuvre mimétique qui peut changer de forme et se muer en d’autres animaux marins ; il est question d’un garçon aux pouvoirs magiques. A l’écran, au-dessus du pupitre de l’orateur absent, apparait une photographie de la pieuvre ou le titre de la conférence, A Mimic Battle. L’orateur invisible scande un appel à rejoindre la Mimic Battle. La vidéo est présentée dans un écran plat, dont le cadre en bois peint est une copie d’un design de Bang & Olufsen. Co-réalisée par Yoan Mudry et la curatrice Roxane Bovet, l’œuvre nous donne quelques clefs de lecture de la démarche de l’artiste. Le format vidéo est intéressant chez un artiste qui emploie principalement la peinture et où la complexité des collages, allié à une maîtrise technique, contraste avec l’épure visuelle de A Mimic Battle. Il résonne avec la diversité des images qui se superposent sur toile, dans des séries de dessins à l’encre ou réalisé en sculpture.
Quel lien entre cette bataille et l’œuvre de Yoan Mudry (*1990, Lausanne. Vit et travaille à Genève) ? Un basculement étrange s’opère en regardant les toiles, un clignotement entre séduction et inconfort, entre réalisme et abstraction, entre histoire de l’art et banalité de la culture populaire – les deux étant souvent indémêlables. Un personnage de Disney, au modelé caractéristique, jouxte un rendu hyperréaliste d’un plat de pâte. Est-ce une référence à un Pasta Painting de Ugo Rondinone ou de General Idea, à un bricolage d’enfant ou simplement l’image d’une banalité quotidienne ? En tout cas, il y a une référence au Pop Art, traitée en relation à notre rapport actuel aux images. Roy Lichtenstein disait de son langage pictural qu’il était « lié au Cubisme dans la mesure où la bande-dessinée l’est. Il y a une relation entre la bande-dessinée et des gens comme Mirò et Picasso, une relation qui n’est peut-être pas comprise par les bédéistes, mais qui est définitivement en lien même avec les premiers Disney » (1). Ce n’est pas uniquement cette relation à l’histoire de l’art que Yoan Mudry explore dans la peinture. Le clash entre formes empruntées au quotidien, à diverses cultures ou à l’histoire de l’art provient d’Internet et du maelström de représentations qui en est aujourd’hui issu. L’aplat parfaitement maîtrisé de la peinture rappelle celui des écrans. Au sujet de la surface peinte de Roy Lichtenstein, le critique Hal Foster constate qu’il « émerge ici un mode de voir qui est devenu dominant dans notre ère de l’écran d’ordinateur : non seulement toutes les images apparaissent à l’écran, mais notre lecture tout comme notre regard sont devenus une sorte de « scanning ». C’est la manière dont nous sommes entraînés à balayer à travers l’information, visuelle ou autre : nous la scannons (et souvent elle nous scanne, enregistrant chaque frappe de clavier, comptant les vues de site, etc.) » (2). Chez Yoan Mudry, le scannage est perturbé. En opérant un arrêt sur image, en réalisant les reproductions à la peinture, Yoan Mudry propose un temps suspendu au milieu de ce flux incessant.
Parmi les objets Pop que Yoan Mudry représente, il y a la récurrence du micro. Sur une tapisserie, en sculpture de tissu, parfois répété en grande quantité dans une installation qui mêle peinture sur bois et wall painting, le micro interpelle le spectateur. Pour quel discours, quelle prise de parole ? Serait-ce pour appeler à rejoindre la Mimic Battle, celle où un garçon a des pouvoirs proches de ceux de la pieuvre ? (On apprend plus tard dans la vidéo qu’il s’agit de Harry Potter). Tourné spécifiquement à Stanford University en Californie – le sticker S rouge de l’alma mater qui apparait au dos d’un ordinateur en atteste – la proposition cite la tactique du cheval de Troie, s’introduit au sein même de l’académie qui a vu naître Google et Facebook. L’œuvre de Yoan Mudry proposerait-elle donc une bataille mimétique, une mutation en l’ennemi, pour prendre la forme, un instant, du maelström de Google Image dont nous sommes les utilisateurs complices, à scanner notre perception et nous renvoyer nos questionnements le temps d’un arrêt sur une multitude d’images? Elle reflète en tout cas le trouble qui traverse la mutation culturelle liée à celle des nouvelles technologies.
Denis Pernet, 2016
(1) Hal Foster et al., Art Since 1900, Thames and Hudson, Londres, 2012, p. 487
(2) Idem
A mimic battle (collaboration with Roxane Bovet), screenshot, 2016